Introduction

Si l'Islam a pu, dès le XIème siècle de l'ère chrétienne, prendre la direction d'un monde civilisé nouveau, instauré sur l'édifice délabré d'une Rome agonisante et du "bigotisme ignorant des Byzantins", ce n'est pas à cause d'une carence inhérente au christianisme originel, initiateur et rationnel, mais, simplement, sous l'impact d'une doctrine "catholicisée" travestie, qui fit sombrer la chrétienté dans un irrationnel factice. Jésus et Mohammed, apôtres vénérés, furent les Promoteurs d'une pensée créatrice, agissante sur tous les plans. Il n'est qu'à feuilleter les Ecrits de l'un et de l'autre, leurs traditions révélées communes, pour s'en apercevoir. Mais, les manipulations imaginatives de ces Ecrits, élaborées, souvent, sans arrière-pensée tendancieuse, en ont faussé l'idéalisme sublime, la transcendance et le rehaut de l'échelle authentique de leurs valeurs esthétiques et éthiques. L'Islam a failli sombrer, à la fin du Moyen-Age, sous l'effet maléfique de sectes excentriques, à l'instar du Christianisme, qui a vu s'établir une ère dite "de la foi", qui se prolongea jusqu'au XIIème siècle. " Une partie du cléricalisme, égoïste et obscurantiste, s'ingénia - dit l'auteur chrétien des Visages de l'Islam - à forcer la déviation, en abjurant les sciences qui défient Dieu, telle la médecine qui consiste à faire disparaître le mal physique, considéré, alors, comme un châtiment divin ".

L'ordre divin, tel qu'il a été révélé ou inspiré à Moïse, Jésus et Mohammed, ne souffre guère d'infirmation, dans les relations de cause à effet, concept péremptoire dans les enchaînements rationnels de notre monde. Les perspectives d'ordre éthico-cultuel, pour être efficientes, doivent se rationaliser dans leur quintessence, se conceptualiser scientifiquement et se restructurer, dans le contexte d'un optionalisme social pertinent, continu, serein et souverain. C'est l'importance de cette communion de pensée originelle, de ce fructueux échange entre civilisations diverses et religions différentes, qui inspira Mohammed Iqbal, le célèbre leader indien musulman, quand il affirme, dans ses Six Conférences sur la Reconstitution de la pensée religieuse en Islam: " le phénomène - dit-il - le plus remarquable de l'histoire moderne, est la rapidité étonnante, avec laquelle le monde de l'Islam se meut spirituellement vers l'Ouest. Il n'y a rien de vicieux, dans ce mouvement, car la culture européenne, dans son aspect intellectuel, n'est que le développement postérieur de quelques-unes des phases les plus importantes de la culture de l'Islam... Rien de surprenant, donc, que la jeune génération musulmane d'Asie et d'Afrique demande qu'on oriente de nouveau sa foi ".

Quand certains philosophes et sociologues parlent de l'Islam, comme catalyseur d'un modernisme équilibré, option de demain, ils n'entendent, par là, que le monothéisme abrahamique qui englobe les trois religions révélées. Les propos du grand penseur anglais Bernard Shaw doivent être conçus dans ce sens, quand il disait : "Le centre universel d'orientation se déplacera, dans les siècles futurs, de l'Occident en Orient". La Charia, Droit musulman, deviendra alors, le code de la vie civilisationnelle, apte à remodeler et à régulariser la vie de l'homme sur terre.

Le Droit musulman est adaptable à toutes les conjonctures et à toutes les époques, comme en fait foi l'avis unanime du Congrès International de Droit Comparé, qui a tenu ses assises à Paris, en juillet 1951. " Ce droit - affirme ce Congrès - répond à tous les besoins d'adaptation exigés par la vie moderne ". " Si le Prophète Mohammed était encore en vie, au XXème siècle, - souligne Bernard Shaw -, il aurait résolu les problèmes de notre temps, en dégustant une tasse de café. "

La Sainte Parole divine affirme :
" Et quand Jésus - fils - de - Marie dit : O fils d'Israël ! Je suis le Messager de Dieu venant ajouter foi à ce qui m'a devancé, comme la Thorah (Pentateuque), et vous annoncer la bonne nouvelle de la venue d'un messager, qui viendra après moi, nommé Ahmed. " (sourate 61, verset 6).

Cette prédiction a été mentionnée dans l'Evangile de Barnabé dont quelques exemplaires se trouvent encore dans certaines bibliothèques nationales d'Angleterre, d'Autriche et d'Amérique.

Les Byzantins avaient traduit quelques fragments du Coran, au IXème siècle, dans un but de polémique, concernant certains points de divergence, à propos de la Trinité, du Fils de Dieu, de Marie l'Immaculée, de la vie conjugale du Prophète... Robert de Rétine fut chargé par le Pape, en 1141 ap. JC , de traduire le Coran. Une traduction moins tendancieuse fut l'oeuvre de Paganini, parue à Venise, en 1530. André De Ryer, consul français au Caire (1570-1660), fit une traduction intégrale en français, publiée en 1647 et transmise, plus tard, en allemand, en anglais et en hollandais. Ces traductions, élaborées par des catholiques, étaient plus ou moins adéquates; des Protestants, de l'école réformée, essayèrent de commenter judicieusement, à travers leurs traductions, la pensée islamique. Dés le XVIIIème siècle, une nouvelle série de traductions sincères vit le jour, notamment celle de G. Sale, en 1734. En comparant ces élaborations, on pourrait déceler, pourtant, certaines incorrections.

Des traducteurs du Coran ont inséré dans leurs traductions ce qui, en réalité, ne se trouve pas dans le texte arabe. "En effet - dit Maurice Bucaille -, sans altérer le texte même, on peut y ajouter des titres qui n'existaient pas dans l'original, cette addition modifiant le sens général. Ainsi, Régis Blachère, dans sa traduction bien connue (Ed. Maisonneuve et Larose, Paris, 1966 p.115), insère un titre qui n'existe pas dans le Coran : "Obligation de la guerre sainte ", en tête d'un passage qui est incontestablement un appel aux armes, mais qui n'a pas ce caractère qu'on lui prête". Par la suite, le dialogue islamo-chrétien a marqué les rapports entre religions monothéistes, depuis les années soixante-dix. J'ai assisté alors, personnellement, aux rencontres de Cordoue (par deux fois), à Tunis, à Senanque (en France où seule l'Afrique du Nord a représenté l'Islam). Je suis allé jusqu'à Hong Kong, désigné par l'U.N.E.S.C.O, pour définir les Droits de l'homme en Islam, dans un colloque qui a réuni des délégations parlant au nom de diverses religions. A Tunis, le thème était spécifique : le planning familial, où Chrétiens et Musulmans étaient d'accord sur une "liberté consciente", dans le domaine de la procréation. J'ai, alors, émis le point de vue islamique, représentant toutes les délégations musulmanes présentes. Ces contacts, parfois informels, ne manquaient pas d'impact positif. J'ai eu l'impression, lors des débats, que beaucoup de préjugés négatifs furent, sinon éliminés, du moins, ébranlés.

Si on essaie de sonder la nature intrinsèque de l'Islam et du Christianisme bien entendus, on se rend compte d'une homogénéité foncière, faussée par un esprit imaginatif agressif et égoïste.

"Qu'est ce que l'Islam ? demande Amr Ibn Absa, au Messager d'Allah. " C'est - affirme le Prophète - la parole douce et la générosité " ; quel est l'Islam le meilleur ? le Prophète répond : "C'est la religion d'un homme qui ne nuit à aucun, par ses propos ou ses actes".
Et "la foi la meilleure ?" "C'est - souligne-t-il - une bonne morale".

Le Christianisme prône les mêmes concepts. La réalité est Une, dans le trio révélé, quelles que soient ses perspectives, dont le fonds est humainement sublime, tant dans ses optiques que dans ses options. L'Ethique Universelle a des composantes dont les valeurs n'ont pas de frontières, malgré les nuances des étiquettes d'un certain ordre facticement restrictif, susceptible d'en réduire la portée éminemment idéale. C'est pourquoi l'Islam se considère comme solidaire avec les religions révélées. Aucune espèce de civilisation ne doit être considérée, a priori, comme viciée ; certains courants peuvent se contrecarrer dans les détails, mais avoir un aboutissement unique. Certaines manifestations de la pensée peuvent varier d'un continent à un autre ou d'une religion à une autre, mais le fond de cette pensée reste le même : parce qu'il est la résultante de cette communion humaine que l'Islam cherche, sinon à édifier, du moins à consolider. Bergson, un des amis du grand savant pakistanais Iqbâl, disait que " l'Occident aura besoin d'un supplément d'âme, pour étayer sa culture ".

Pour Eva de Vitray Meyerovitch, spécialiste et traductrice de Rûmi, et par ailleurs, auteur de L'Islam, l'autre visage, " l'Islam est un peu comme le dénominateur des grandes religions. (...) Si vous êtes sincère, vous n'avez pas besoin de vous convertir. Tout croyant peut être musulman, dans le sens très large de l'attitude d'esprit. Il lui suffit d'être soumis à Dieu. Cette soumission, cet abandon de tout l'être à la volonté divine, n'est-ce pas l'axe commun de toutes les religions ? ".

Mais, l'auteur d'ajouter :
" ..elle (cette formule) implique, tout de même, de reconnaître que le message apporté par Mohammed est un message authentique... qui n'admet pas que Jésus soit le fils... mais une personne entièrement remplie de l'Esprit divin ".

Rûmi dit : " nous sommes comme une flûte qui, dans un seul mode, s'accorde avec deux cents religions ".

L'obscurantisme des masses musulmanes et les effets maléfiques des influences occidentales, dans les deux siècles derniers, ont avivé les superstitions et les fausses croyances. L'Occident, mal avisé, jugea l'Islam, à partir de ces excentricités. Mais, certains chercheurs occidentaux, se penchèrent sur le fonds de l'Islam, pour dégager l'écart flagrant entre son dogme et le béhaviorisme des musulmans.

En 1911, le journal "Al-Watan", quotidien chrétien de Beyrouth, demanda aux Arabes chrétiens, quelle personne, à leur point de vue, était le plus grand homme du monde. En réponse, un grand érudit de confession chrétienne précisa que " la personnalité la plus éminente était, effectivement, celle qui, durant la courte période de dix ans, dota le monde d'une nouvelle religion, d'une nouvelle philosophie de la vie, d'un code esquissant un nouveau mode de comportement pour l'homme, définissant, nettement, le concept vivant et un train de vie adéquat. Illettré et sans éducation élaborée, ce grand personnage a su provoquer l'émergence d'une nation, à partir des ruines d'une société en décantation, jetant, ainsi, les fondations d'un grand Empire, tout frais, pourvu d'une longévité infinie. Cette grande personnalité n'était autre que Mohammed Ibn Abdellah le Qoréïchite, le Prophète arabe et le grand Messager de l'Islam ".

Dans un autre son de cloche, un missionnaire et orientaliste américain réputé, spécialiste des affaires musulmanes, Samuel Zwemer, publia, en 1916, un ouvrage qui eut un certain retentissement dans le monde anglophone et les milieux protestants (The Disintegration Of Islam). Car à lui, comme à bon nombre d'autres "experts", cette désintégration paraissait proche. " Bientôt, une série d'événements considérables permit de penser que son processus était réellement déclenché : défaite de la Turquie en 1918, suivie de l'occupation par les Alliés d'une grande partie de son territoire; abolition, en 1924, du Khalifa, resté théoriquement, jusque-là, l'autorité suprême de l'Islam sunnite; instauration dans la nouvelle République turque, d'un régime laïque, inspiré des pays occidentaux; partage du Proche-Orient arabe en zones d'influence occupées par les Britanniques et les Français ".

Il n'en fut rien. L'Islam ne fait que progresser et se répand de par le monde. Le Coran ne cesse de répéter : "réfléchissez, méditez, raisonnez". " Quand tu auras planifié, - dit-il - fie-toi à Dieu " (sourate 3, verset 159). Cet ordre péremptoire incite le croyant à planifier d'abord et à se confier à Allah, ensuite. N'est-ce pas là une dialectique rationnelle agissante, mode essentiel qui consiste à procéder d'un intellect libre, souple, qui conditionne toute évolution. Nous ne cherchons point, par là, à séculariser le cultuel, mais à démontrer, simplement, que le "sacré" véritable a pour base :

1) la rationalité;
2) la scientificité, c'est-à-dire l'accord du "sacré" avec les données de la science;
3) La "socialité", c'est-à-dire la prééminence, dans maints cas, du social sur le cultuel.

Ainsi donc, tout "sacré" ou "sacro-saint" ne saurait être conçu, ni admis, que dans le cadre d'une triple authenticité : rationnelle, scientifique et socio-éthique.

Dans cet ouvrage, nous essayons de demeurer objectif; en nous défendant de glisser vers l'absurde, à l'instar d'un certain Oswald Spengler qui, dans son fameux ouvrage Le déclin de l'Occident, pousse ses invraisemblables déductions, jusqu'à faire commencer "l'époque arabe" au premier siècle de l'ère chrétienne, parler du Panthéon de Rome comme d'une des premières mosquées, de Dioclétien comme d'un calife et de Diophante comme d'un mathématicien arabe.